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UNIVERSITÉ LAVAL
Faculté de Foresterie et de Géomatique
Département des Sciences du Bois et de la Forêt
Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux
Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
texte de soutien
Réunion du 20 mars des conseillers techniques
Saint-Hyacinthe
QUÉBEC
«QUE FAIRE AVEC LES BRANCHES APRÈS LE VERGLAS: LES BRF UN CADEAU DU CIEL»
par
E. Smeesters, L. Larochelle et G. Lemieux
NATURE • ACTION
http://forestgeomat.for.ulaval.ca/brf
édité par le
Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux
UNIVERSITÉ DE LAVAL
Département des Sciences du Bois et de la Forêt
Québec G1K 7P4
QUÉBEC
Canada
REMERCIEMENTS
Cette synthèse des travaux du «Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux» a été réalisée suite à la tempête de verglas spectaculaire qui a frappé la ville de Montréal et la Montérégie en janvier 1998. Après quatre jours de pluie verglaçante, des milliers de branches d’arbres ont cassé sous le poids de 5 à 10 cm de verglas. Le spectacle était désastreux et le travail gigantesque.
Nature-Action Québec était au coeur du problème. Ce groupe environnemental, crée en 1986, a toujours eu à coeur de poser des gestes concrets pour améliorer l’environnement et sensibiliser le public à des alternatives saines. Avec l’aide du ministère du Développement des ressources humaines Canada et en partenariat avec une dizaine de villes de la Montérégie, Nature-Action Québec a mis sur pied un vaste projet d’élagage et de nettoyage des terrains publics. C’est grâce au «volet sensibilisation» de ce programme, et à la précieuse collabora- tion du Docteur Gilles Lemieux et de Monsieur Louis Larochelle de l’Université Laval, que ce document a pu être réalisé.
Édith Smeesters, biologiste et présidente de Nature-Action Québec
QUE FAIRE AVEC LES BRANCHES APRÈS LE VERGLAS?
LES BRF: UN CADEAU DU CIEL?
Édith Smeesters1, Louis Larochelle2 & Gilles Lemieux3
Après la tempête de verglas du mois de janvier 1998, un bon nombre de villes de la Montérégie se sont retrouvées avec des montagnes de branches à ne plus savoir qu’en faire.
Or, il se trouve également qu’un groupe de chercheurs de l’Université Laval travaille depuis plus de 20 ans à la mise en valeur des branchages laissés pour compte par l’industrie forestière. Ils ont découvert que ce bois raméal (bois des rameaux ou bois des branches de moins de 7 cm) , constitue une ressource de très grande valeur pour régénérer tous les types de sols, à condition d’être fragmenté et directement appliqué au sol, sans compostage.
Les scientifiques ont donc rebaptisé ces branches déchiquetées avec un nom à la hauteur de leur valeur: Bois Raméaux Fragmentés (ou encore: BRF pour plus de facilité). C’est aussi une façon de bien les différencier des copeaux de scieries qui proviennent du tronc et qui ont un effet dépressif sur le sol. En effet, les copeaux de bois de tronc ne contiennent presque pas de nutriments, et c’est dans le bois de tronc que sont stockés certains produits de défense de l’arbre qui peuvent être nocifs pour le sol.
Voici donc un résumé des nombreuses publications du «Groupe de Coordination sur les Bois Raméaux» et de discussions avec le Docteur Gilles Lemieux et Monsieur Louis Larochelle MSc. Ce texte n’a aucune prétention scientifique, mais vise essentiellement à rendre accessibles des informations qui peuvent permettre d’enrichir les sols, tout en utilisant un matériel disponible en abondance pour le moment.
La richesse est dans les branches
Les branches de faible diamètre (moins de 7 cm ou 3 “) sont extrêmement riches en éléments nutritifs. En fait, 75% des nutriments de l’arbre sont dans les branches. Elles contiennent de la cellulose et de la lignine, mais aussi beaucoup d’autres éléments comme des sucres, amidons, hémicelluloses, protéines, acides aminés, enzymes et sels minéraux, ce qui les rend de loin plus intéressantes que le bois du tronc.
Afin de rendre tous ces éléments nutritifs disponibles au sol, il est nécessaire de broyer les branches. Cela accélère la digestion de tout le matériel, car cela multiplie les surfaces de contact pour les micro-organismes du sol.
La production d’un humus stable
De nombreuses expériences ont été effectuées depuis 20 ans avec les BRF, tant en milieu forestier, qu’en milieu agricole ou en aménagement paysager. Partout ce fut la même constatation: le sol était régénéré, il avait retrouvé sa fertilité naturelle et prenait une belle couleur sombre (mélanisation) due à la transformation de la lignine en humus.
On sait déjà que la présence d’humus est essentielle à toute la dynamique du sol, car il améliore à la fois ses qualités physiques, chimiques et biologiques. L’humus améliore la structure du sol en formant des agrégats. Dans les sols lourds, cela rend le sol plus poreux, plus léger. Dans les sols sablonneux, l’humus retient l’eau comme une éponge. Dans tous les cas, l’humus permet de stocker les minéraux naturellement présents dans le sol. Il s’ensuit une diminution de l’érosion, une meilleure résistance à la sécheresse et le travail du sol devient beaucoup plus facile.
La transformation des BRF produit un humus de très haute qualité à cause de la présence de lignine. Cette substance est transformée en humus par certains champignons (basidiomycètes ou pourritures blanches) qui sont les seuls organismes capables de la digérer. Pour cela, les BRF doivent être incorporés au sol mais pas trop profondément car, si ces champignons ont besoin d’humidité, ils ont également besoin d’air.
La présence massive de champignons va attirer d’autres organismes très utiles comme les collemboles et les acariens qui s’en nourrissent. Ces derniers, à travers leur déjections, vont faire proliférer certaines bactéries dont se nourriront les protozoaires, qui sont le plat préféré des vers de terre, etc. Toute cette biodiversité dynamique va contribuer à faire du sol un habitat stable et à la fois propice à chacun de ces organismes et aux plantes. L’effet des BRF peut durer de 3 à 5 ans sans autre apport de matières organiques. La présence de lignine leur donne une longueur d’avance par rapport à des amendements (fumiers) qu’il faut renouveler fréquemment.
Appliquer des BRF au sol, c’est comme mettre de l’argent en banque et la bonne nouvelle c’est qu’on vient de gagner le gros lot!
Des effets spectaculaires sur les sols:
Les résultats obtenus jusqu’à présent avec l’utilisation de BRF sont exceptionnels. On a pu observer:
- Des améliorations remarquables dans la structure de tous les sols.
- Une meilleure résistance à la sécheresse grâce à l’humus qui retient l’eau.
- Une augmentation de la biodiversité qui s’est traduit par la réduction de la virulence des parasites.
- Des augmentations de rendements, particulièrement la deuxième année après l’application (jusqu’à 300% chez les fraises).
- Une amélioration de la qualité des produits: augmentation en matière sèche (de 30% chez la pomme de terre) et amélioration de la saveur.
- Un développement remarquable du système radiculaire et l’apparition naturelle demycorhizes dans les cultures de fraises, avec des effets très positifs sur le phosphore assimilable.
- Une augmentation du pH dans les sols acides.
Le BRF appliqué au sol est meilleur que le compost
La tentation est forte de composter les BRF pour fournir au sol, ou aux plantes, un plat «tout cuisiné». Cela représente pourtant un travail inutile et même un certain gaspillage, car les BRF appliqués au sol permettent au carbone de retourner entièrement dans la terre, alors qu’il se perd partiellement en gaz carbonique (CO2) lors du compostage. Il n’y a donc pas de perte d’énergie avec l’application de BRF, tout est restitué au sol. Par ailleurs, tous les organismes du sol sont stimulés par les BRF, ou par les champignons microscopiques qui s’en nourrissent. Il a été démontré que les vers de terre sont nettement plus attirés par les BRF que par les composts.
Attention aux conifères!
Les BRF de conifères sont à éviter car ce type d’arbre contient des produits antibiotiques qui peuvent être néfastes pour le sol. On peut cependant tolérer environ 20% de bois de conifères dans un mélange de BRF, sans avoir d’effet négatif.
UTILISATION DES BRF
Dans les boiséS
La situation la plus facile se trouve dans les boisés naturels où les BRF peuvent être retournés immédiatement au sol. Après tout, la meilleure chose qui puisse arriver à nos arbres après le verglas, c’est de leur rendre tous ces éléments nutritifs qu’ils viennent de perdre!
On peut évidemment laisser les branches au sol telles quelles, et dans les boisés très fréquentés cela peut diminuer le piétinement du sous-bois. Mais, si la tâche n’est pas trop vaste, le mieux est de déchiqueter les branches sur place et de disperser les BRF à la volée. C’est un bon coup de pouce à la nature qui est déjà bien perturbée avec toutes ces pressions que nous lui faisons subir, incluant les pluies acides. Dans une érablière, au sol particulièrement acide, le pH est monté d’une unité après une seule application de BRF.
Dans les parcs urbains
Dans les parcs qui comprennent de vastes pelouses, c’est peut-être l’occasion de diminuer les surfaces gazonnées et d’en renaturaliser une partie pour le plus grand bien des arbres. Il suffit d’accumuler les BRF sous les arbres sur une épaisseur de 5 à 10 cm pour étouffer le gazon. Pour de meilleurs résultats, surtout si la pelouse est très dense, on peut recouvrir la surface avec du papier Kraft épais (disponible en rouleaux) avant d’appliquer les BRF.
Tous les jeunes arbres devraient recevoir une couronne de BRF d’au moins un mètre de diamètre à leur base, ce qui les protégera des tondeuses à gazon. Il faut cependant éviter d’en mettre trop épais autour du tronc.
En aménagement paysager
Tous les parterres d’arbustes, de vivaces ou d’annuelles bénéficient d’un paillis de BRF. Comme les BRF se décomposent petit à petit, il suffit d’en ajouter un peu chaque année pour avoir toujours un coup d’oeil agréable, à condition d’avoir un matériel assez homogène et pas trop grossier (morceaux de 2-4 cm). Cependant, il faut éviter de broyer les BRF trop finement car cela peut former une croûte imperméable.
La première fois, on en mettra environ 5 cm d’épaisseur autour des herbacées et jusqu’à 10 cm autour des arbustes. Plus on en mettra épais, plus le matériel devra être grossier pour conserver une bonne aération. On pourra voir des effets très positifs sur les plantes dès la première année.
Le paillis a de multiples avantages. Il augmente en effet la résistance à la sécheresse, en gardant le sol à l’abri des rayons du soleil. Il élimine le sarclage et diminue considérablement la présence de mauvaises herbes. Les mauvaises herbes tenaces (comme le chiendent), peuvent être éliminées en appliquant plusieurs épaisseurs de journaux (ou de papier Kraft) avant de mettre les BRF. Le paillis crée également des habitats très favorables à une quantité de prédateurs, comme les carabes et les staphylins, ce qui réduit la présence de parasites. Par ailleurs, le paillis protège les vivaces des écarts de températures si fréquents à la fin de l’hiver.
Pour les annuelles, on installe le paillis après la plantation. Ce qui reste à l’automne pourra être incorporé au sol sans problème. Les BRF auront pratiquement disparus le printemps suivant et le sol deviendra de plus en plus fertile.
En milieu agricole:
BRF en paillis (mulch)
Les BRF peuvent être utilisés sans aucun problème au printemps, à condition de les laisser en surface. Cela peut se faire dans certaines cultures, comme les petits fruits, les vergers ou les potagers. Il faut procéder comme ci-dessus pour l’application: 5 à 10 cm d’épaisseur d’après la grandeur des plants et la disponibilité du matériel.
Dans les potagers, il faut étendre le paillis après la mise en place des légumes et on peut en ajouter durant la saison estivale au besoin. Au printemps suivant, il suffit d’écarter les BRF afin de laisser réchauffer le sol pour les semis précoces. Le repiquage peut se faire directement à travers le paillis.
Incorporation au sol
Méthode et quantité à appliquer :
Les copeaux peuvent être assez grossiers et seront appliqués avec un épandeur à fumier.
- Taux : 1,5 à 2,5 cm d’épaisseur soit 150-250 m3 par hectare soit environ15 tonnes par hectare, jamais plus
- Lors d’une première application, on peut introduire en même temps un peu de sol forestier (10 à 20 g par m2 soit 1 à 2 tonnes par ha) afin de ramener la flore microbienne, et particulièrement les champignons, qui est souvent absente en milieu agricole.
- Il faut ensuite incorporer superficiellement les BRF aux 10 premiers cm du sol par hersage. Il ne faut pas enfouir les BRF trop profondément, surtout dans les sols lourds, car les organismes qui les transforment ont besoin d’oxygène. Donc, pas de labour immédiatement après l’application.
Période d’application:
Même si les BRF sont relativement riches en azote, il faut attendre quelques semaines pour que les organismes décomposeurs fassent leur travail sans être en compétition avec les plantes. Il vaut donc mieux faire l’épandage en automne: il n’y aura alors aucun effet négatif sur les récoltes l’année suivante.
Si on applique les BRF au printemps, il y aura une certaine pénurie d’azote pendant environ 2 mois. Il est donc recommandé de laisser le sol en jachère et de semer une plante abri, pour couvrir le sol, et de l’incorporer l’année suivante.
Au cours des diverses expériences passées, on a ajouté une source d’azote (lisier) avec les BRF pour compenser cet effet dépressif temporaire. Cependant, on a constaté que les bactéries s’empressaient alors d’envahir le sol et prenaient la place des champignons capables de digérer la lignine. Par contre, les BRF étaient restés presque intacts. Seuls les champignons basidiomycètes sont adaptés à des substrats pauvres en azote et à digérer la lignine des BRF.
Si on ne peut pas étendre les BRF au printemps, il faut soit les entreposer jusqu’en automne, soit les utiliser en paillis, soit les composter.
Stockage:
L’entreposage peut se faire en tas de 1 mètre (3 pieds) de haut maximum, afin d’éviter le compostage et l’envahissement des BRF par les bactéries. Si on fait de gros tas, ils vont se transformer en compost dans un an ou deux, mais avec des pertes considérables et inutiles.
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1 Nature-Action Québec, Saint-Bruno-de-Montarville, (514) 441-3899
2 Agronome, les Grondines
3 Département des Sciences du Bois et de la Forêt, Université Laval, Québec